Celine bernard liseron cebedoc poesie

La poésie répond aux mêmes nécessités que la musique à savoir le rythme et la mélodie. Si les sons ne semblent pas poser trop souvent question, agissant presqu’à notre insu, la pronociation des syllabes défrise souvent les élèves de la classe de français.

Au XVIème siècle, la Pléïade a établi des règles strictes de prononciation du -e dit muet, quand il est placé devant une consonne. En revanche, il s’élide en fin de vers ou devant une voyelle.

Par exemple :

“Ô rage ! ô désespoir ! ô vieillesse ennemie !
N’ai-je donc tant vécu que pour cette infamie ?
Et ne suis-je blanchi dans les travaux guerriers
Que pour voir en un jour flétrir tant de lauriers ?
Mon bras qu’avec respect toute l’Espagne admire,
Mon bras, qui tant de fois a sauvé cet empire,
Tant de fois affermi le trône de son roi,
Trahit donc ma querelle, et ne fait rien pour moi ?
Ô cruel souvenir de ma gloire passée !
Œuvre de tant de jours en un jour effacée !
Nouvelle dignité fatale à mon bonheur !
Précipice élevé d’où tombe mon honneur !
Faut-il de votre éclat voir triompher le comte,
Et mourir sans vengeance, ou vivre dans la honte ?”
se désole Don Diègue dans Le Cid.

De la musique avant toute chose…

Les règles en poésie visaient à à composer des rythmes réguliers sur le modèle des anapestes ou dactyles antiques, avec une alternance entre syllabes accentuées et atones rappelant les syllabes courtes ou longues des Anciens.

Ces règles sont draconniennes et conduisent les auteurs à se contorsionner habilement pour entrer dans le moule quitte à perdre en “invention”. Les romantiques au XIXème ont balayé ce décompte obligatoire. Verlaine invite dans son Art poétique à préférer l’impair, en utilisant cependant les même règles. Dans Hernani, Victor Hugo ne place pas la césure exactement au milieu, laissant parler son cœur plutôt que sa rigueur et laissant des -e muets avant la virgule. Essayez d’avoir l’air naturel en les prononçant ! Le talent du comédien est mis à l’épreuve.

Oh par pitié pour toi, fuis ! Tu me crois peut-être (7/5)
Un homme comme sont tous les autres, un être(10/2)
Intelligent, qui court droit au but qu’il rêva.(4/4/4)
Détrompe-toi. Je suis une force qui va!
Agent aveugle et sourd de mystères funèbres!
Où vais-je ? Je ne sais. Mais je me sens poussé (3/3/3/3)
D’un souffle impétueux, d’un destin insensé.
Je descends, je descends et jamais ne m’arrête.
Si parfois haletant, j’ose tourner la tête,
Une voix me dit : Marche ! et l’abîme est profond, (5/1/6)
Et de flamme ou de sang, je le vois rouge au fond!
Cependant, à l’entour de ma course farouche,
Tout se brise, tout meurt. Malheur à qui me touche !
oh ! fuis ! détourne-toi de mon chemin fatal.
Hélas sans le vouloir, je te ferais du mal.

 

Et c’est l’auteur qui décide

Aujourd’hui, on distingue la poésie classique, celle qui respecte les règles anciennes de la poésie dite libre qui va jusqu’à la prose.

Baudelaire et Ponge sont devenus célèbre pour leurs petites formes non versifiées. Par exemple, l’oiseau :

L’oiseau. Les oiseaux. Il est probable que nous comprenons mieux les oiseaux depuis que nous fabriquons des aéroplanes.
Le mot OISEAU : il contient toutes les voyelles. Très bien, j’approuve. Mais à la place de l’s, comme seule consonne, j’aurais préféré l’L de l’aile : OILEAU, ou le v du bréchet, le v des ailes déployées, le v d’avis : OIVEAU. Le populaire dit Zozio. L’s je vois bien qu’il ressemble au profil de l’oiseau au repos. Et oi et eau de chaque côté de l’s, ce sont deux gras filets de viande qui entourent le bréchet.

Poème dont il fait un calligramme. Car si la poésie est musique, elle aussi tableau calligraphie, dessin, tracé.

Du coup, on ne compte plus les syllabes, on les dessine.

Calligramme de Ponge l'Oiseau

Licence poétique

Aujourd’hui, après tant de siècles et de poètes qui se sont évertuer à définir le beau et à nous donner des astuces, on ne sait plus comment prendre les choses. Les arts poétiques de Boileau ou Verlaine nous enferment un peu trop. Et on cherche tout de même à entrer dans cette danse de smots. Alors, en guise de définition, Raymond Queneau nosu propose la sienne :

Pour un art poétique

Prenez un mot, prenez en deux
faites-les cuire comme des œufs
prenez un petit bout de sens
puis un grand morceau d’innocence
faites chauffer à petit feu
au petit feu de la technique
versez la sauce énigmatique
saupoudrez de quelques étoiles
poivrez et puis mettez les voiles
Où voulez-vous donc en venir ?
A écrire
Vraiment ? à écrire ?

Au deuxième vers, tout le monde a envie d’élider le -e de cuire pour entrer dans le mouvement de l’octosyllabe. Et ça ne pose pas de problèmes.

Du coup, chaque auteur, en lisant son poème à haute voix pourra en modeler le rythme et trouver une manière de l’écrire qui aiguille le lecteur sur l’effet qu’il recherche.

En aucun cas, du moins me semble-t-il, les règles de la Pléïade ne peuvent contraindre les rythmes actuels. Pour donner un clé à tous les poètes d’aujourd’hui, ce serait la suivante : faites lire à haute voix, enregistrez-vous, écoutez-vous ! Là où le mental s’embrouille de règlementations apprises, l’oreille retrouvera l’intuition d’une esthétique personnelle. Et surtout lisez, lisez, lisez car c’est en lisant que l’on devient liseron 😉

Au plaisir de vous lire,

Céline, alias Cebedoc.

Laisser un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *

Ce site utilise Akismet pour réduire les indésirables. En savoir plus sur comment les données de vos commentaires sont utilisées.